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Ah ! Les rentrées scolaires ! Presque chacune d’elles a été une aventure plus ou moins éprouvante pour nous.

Depuis trois ans, le collège nous connaissait bien à force de faire des descentes à l’école pour ci, pour ça, pour une sortie scolaire, faire une demande d’AVS*… En fin d’année 2009, Félix était en classe de 4°, voilà que le directeur nous fît une proposition inattendue :

— Madame Charvin ! L’air décidé il me tendait une feuille de papier, pouvez-vous me donner les noms des copains de Félix ? Nous allons faire la composition des classes et nous ferons attention à les mettre ensemble dans la même classe l’an prochain pour la 3ème

Le directeur du collège privé n’était pas du genre à donner dans l’affectif. Au cours de notre histoire, Il se révélait plus comme un gestionnaire que comme un éducateur. Sa proposition nous touchait, c’était bien la première fois qu’il faisait preuve d’attention particulière à l’égard de notre fils. Mais voilà, la suite révéla que ce n’était décidément pas son fort…

Super ! Je ne m’attendais pas du tout à ça, bien sûr nous allons lui donner quatre ou cinq noms de copains proches qui connaissent bien Félix et qui savent gérer ses problèmes d’épilepsie absence*. Comme en primaire, les élèves ont toujours été à l’aise et naturels avec le problème de santé de Félix.

Nous étions heureux de noter ensemble le nom des copains sur la petite feuille : Théophile, Maxime, Tony, David, Rémi et Tom.

Nous avons remis notre petite liste au directeur, touchés par cette attention, soulagés en pensant à la rentrée sereine que nous allions faire dans deux mois.

Le jour de la rentrée se passe. Le soir, j’attendais Félix avec impatience qu’il me raconte sa bonne journée.

— J’suis tout seul dans ma classe, j’ai aucun copain dans ma classe, ils sont tous ensemble mais dans une autre classe…

Triste, déçu et abattu, je voyais mon loulou complètement renfermé. J’étais soufflée par un sentiment d’impuissance monumental. Mais pourquoi ? Mais comment ? Il n’en savait pas plus, tous ses copains de notre liste étaient bien ensemble mais dans une autre classe !

En plan sur les marches d’escaliers, choqués

Le lendemain, je fonçais au collège en fin de matinée. J’étais hors de moi, une petite injustice de plus bien placée, juste à la rentrée, alors qu’au départ nous n’avions rien demandé.

En filant vers le bureau du directeur, je le croise dans les escaliers :

— Bonjour monsieur B. ! Il y a un problème, Félix est tout seul dans sa classe ! Les copains que vous nous aviez demandés sont tous ensemble sauf lui ?

— Bonjour, pris par surprise le directeur a gardé son froid légendaire, non mais là je ne peux rien faire, les classes sont faites.

— Mais ce n’est pas possible ! On vient d’apprendre que des élèves changeaient encore de classe !

Le directeur vérifiait sur son petit papier, je voyais qu’il réfléchissait pour identifier le bug…

— Non, là on ne change plus les classes, c’est comme ça.

D’un geste brusque Il tournait le dos nous laissant en plan sur les marches d’escalier, choqués, avec notre boulet sur le cœur. J’ai compris d’où venait l’erreur, sur la liste étaient notés les noms des copains mais pas celui de Félix, il a donc été oublié lors de la constitution de la classe. Serait-ce le traitement réservé aux enfants différents ?

Nous avons repris la route de la maison dans un grand silence, l’heure du déjeuner était largement dépassée. J’ai craqué dans la voiture, c’était trop dur. L’erreur et l’indifférence d’un directeur d’un collège privé renommé, nous étions loin d’une rentrée des classes sereine comme espéré.

C’était la 1ère fois que je craquais devant mon fils. C’est lui qui m’a consolée par ses paroles et son regard plein de douceur. J’ai ressenti un lien fort entre nous au-delà des liens du sang, comme une force éternelle.

Finalement le plus fort de nous deux, c’était lui !

Malgré tout, Félix a fait une bonne année scolaire. Encore aujourd’hui, il a gardé des liens d’amitié avec ses copains de collège. Cette expérience lui a certainement appris que les adultes ne sont pas parfaits, pas même un directeur de collège.

*AVS : Auxiliaire de Vie Scolaire pour accompagner des élèves en situation de handicap, demande à faire auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH)

* L’épilepsie absence se traduit par une altération de la conscience qui dure quelques secondes et peut se produire plusieurs fois par jour, si bien qu’une crise peut passer inaperçue ou se confondre à un manque d’attention.