Tout se passait bien jusqu’au jour où Félix est rentré en pleurant du collège. Alerte générale, c’était la première fois que cela arrivait depuis toutes ses années d’école, donc c’était grave. Nous étions en septembre 2007, la rentrée en 5ème s’était bien passée, Félix prenait ses marques comme les autres élèves.
— C’est la prof d’histoire, elle m’a crié dessus pendant que je faisais une absence et quand j’ai repris mes esprits, elle me criait dessus parce que j’avais pas fini de découper.
—Quoi ! c’est qui cette prof ? Mais elle est pas au courant que tu fais des absences ? bon, t’inquiète pas je vais aller la voir directement, c’est quand ton prochain cours ?
— C’est jeudi à 13H30.
— Jeudi, bon ok, elle est comment physiquement que je la trouve.
C’était ma 1ère opération commando de maman ourse au collège. La prof en question avait la réputation d’être un peu spéciale, elle pouvait s’énerver facilement sur les mêmes élèves toute l’année. Nous ne la connaissions que par ces ouï-dire, ce n’était pas très encourageant surtout pour une rentrée en 5ème.
Spéciale ou non, j’avais choisi de m’expliquer directement pour que ce soit plus efficace vu que l’info n’était pas arrivée jusqu’à elle. Le proviseur avait peut-être oublié de lui faire suivre le message. 13h15, j’arrive au collège, je me gare sur le parking vide, il faisait un beau soleil. Je pensais « je vais me la faire ! » C’est ce sentiment de colère qui me tenait depuis le retour en pleurs de mon fils. J’étais prête à me battre contre l’injustice, le gâchis, le temps perdu, tout ce chagrin inutile. J’y pensais chaque seconde du jour et de la nuit tant que ça n’était pas réglé. Je tournais le scénario dans ma tête, comme au théâtre, il faut savoir entrer en scène sans applaudissement du public, comme au combat que l’on est sûr de gagner. Rien n’aurait pu m’arrêter.
Pas de scandale ni rendez-vous protocolaire
La veille, Félix m’avait expliqué dans quel bâtiment ils avaient cours d’histoire géo et à quel endroit il fallait que je me place dans la cour pour attendre la prof. Nous avions convenu qu’il ne resterait pas.
— Je suis madame Charvin la maman de Félix, je viens vous voir pour savoir s’il y a un problème avec mon fils ?
— Oui, surprise elle me rend poliment mon bonjour, non, il n’y a pas de problème, son expression cherchait à comprendre ma présence devant elle alors que les élèves entraient sagement en cours.
— Et bien vous me rassurez car Félix a des problèmes de santé, on a bien expliqué tout ça à la direction qui a dû faire passer l’info à tous ses profs en indiquant ce qu’il avait et ce qu’il fallait faire, je lui expliquais calmement comme j’avais l’habitude d’expliquer sa maladie, en fait Félix fait de l’épilepsie absence*, c’est-à-dire que par moment il peut faire une absence, il s’arrête dans ce qu’il fait, il n’entend plus, donc si vous lui parlez il ne vous entendra pas, il peut en faire plusieurs dans la journée donc il ne faut pas le gronder, il ne maîtrise pas ce qui lui arrive, par contre, il a l’habitude, il a fait toute sa scolarité comme ça et il sait raccrocher les wagons en classe.
— Oui oui, elle m’écoutait très respectueusement et avait l’air de découvrir le problème.
— Quand il reprend ses esprits il est un peu perdu, il regarde autour et reprend le fil, c’est pour ça que c’est mieux qu’il soit devant.
— Oui c’est d’accord, il sera devant.
Elle était cool en fait cette prof, j’ai bien senti qu’elle était vraiment sincère en m’écoutant, c’était plutôt rare car généralement les profs me prenaient pour la maman poule. Cette discussion avait suffi pour régler le problème. Au cours de l’année, j’ai demandé régulièrement à Félix comment ça se passait, il n’y a plus eu une attaque de l’année.
Notre bref échange dans la cour était passé inaperçu du reste des profs, pas de scandale, pas de mot dans le carnet ni de rendez-vous protocolaire. Ma colère était retombée aussi vite l’entrevue passée.
* L’épilepsie absence se caractérise par une suspension soudaine de la conscience avec une fixité du regard durant quelques secondes.