En 2006, c’était le début de la mode des téléphones portables. Nous n’étions pas du tout pour, notre entourage le savait, mais cela n’a pas empêché sa marraine, Sophie, de lui en offrir un à sa communion, à la fin de son CM2. Il était content notre chouchou ! La marraine aussi devant notre tête de « content pas content ». Nous avions convenu avec Félix qu’il ne le prendrait pas pour aller au collège afin de respecter l’interdit par l’établissement.
En fait, il n’en n’avait pas vraiment besoin puisque nous ne le laissions jamais tout seul sur la route au risque de voir certains automatismes comme la marche se déclencher lors d’une crise d’épilepsie absence. Le médecin nous avait prévenu « certains épileptiques se retrouvent aux urgences en trauma car ils ont traversé durant une absence, à ce moment-là, l’épileptique ne voit pas la voiture ni ne l’entend klaxonner. » Chaque matin, nous posions notre fils au car, avenue des tilleuls, chaque soir nous l’attendions à l’arrêt sur la place du marché. Souvent, nous ramenions chez eux d’autres jeunes du quartier. Notre organisation était bien rodée.
– Mais non, il faut lui laisser son portable ! nous déclare le Directeur du collège limite en colère, s’il y a bien un qui a le droit de l’avoir c’est bien Félix !
Voilà que le dirlo nous obligeait à lui laisser son portable alors que nous étions en train de nous vanter qu’il ne le prenait pas à l’école… C’était un rendez-vous pour faire un point comme régulièrement, cette fois-ci nous étions ensemble avec Hervé, en général j’étais seule avec Félix. De retour chez nous, sans y voir trop d’intérêt, nous convenions ensemble que désormais il prendrait son téléphone avec lui toute la semaine.
Que pense une jeune ado en danger de mort ?
Le lendemain, comme tous les jours, notre journée se passe, les enfants à l’école et moi à courir partout. Soudain en fin d’après-midi, appel angoissé de Félix :
– Je me suis trompé de bus, je suis sur le bord de la route….
– Quoi ! Mais tu es où ? J’arrive tout de suite…
– C’était le bus de Saint Priest, il m’a posé à la Poste, à l’arrêt de la grande route…
– Ahhhh !!! Je m’évanouissais à l’intérieur et je me suis ressaisie aussitôt, Félix est en danger.
– je me suis mis derrière l’arrêt de bus…
– J’arrive !
Je laisse tout en plan, la voiture avait démarré avant moi prête à bondir, 3 mn nous séparaient, ce n’était pas énorme mais la mort n’a pas besoin de plus… Ma ZX a survolé les rues de notre quartier direction l’arrêt de la Poste, je voyais Félix de loin, ouf c’était bon, il s’était adossé à la paroi de l’abribus face au champ de maïs, stressé mais en sécurité, au pire s’il se mettait à marcher il irait dans le champ et pas sur la chaussée… Le stress ou les émotions fortes peuvent provoquer des crises d’épilepsie absence, c’est ce qui se passait quand il ouvrait ses cadeaux de Noël par exemple. Dans ce cas, il aurait très bien pu avoir une crise, lui qui est hyper sensible. Il était très conscient des risques qu’il encourait sur le bord de cette grande ligne droite très fréquentée. Si moi, en tant que maman j’avais ressenti un effondrement, une catastrophe je me suis toujours demandé que se passait-il dans la tête d’un jeune adolescent qui se sent en danger de mort ?
– C’est bien mon chéri, tu as bien réagi !
Les chauffeurs de bus sont sympas !
Il avait dépassé sa timidité en alertant le chauffeur quand il avait réalisé que le car l’emmenait au mauvais endroit, un autre élève était dans le même cas, il en avait profité pour descendre aussi au même arrêt et m’avait appelée en rentrant chez lui pour me prévenir.
De retour à la maison, nous nous remettions de notre frayeur. C’était une situation nouvelle pour nous à laquelle il fallait s’adapter.
– Bon, demain, Félix tu demandes au chauffeur si c’est bien le car pour Mions, d’accord ? Tu sauras le faire, les chauffeurs sont sympas.
Pour notre Tintin qui était très timide, c’était une sacrée épreuve qui l’attendait car il n’était vraiment pas à l’aise pour parler avec des adultes qu’il ne connaissait pas. Après les cours, une grande brochette de bus attendait les élèves sur le parking du collège, difficile de se repérer quand on est petit, c’est plutôt impressionnant, pris dans le flot de centaines d’élèves, il y avait bien des panneaux sur le devant des cars mais ça restait stressant surtout pour les nouveaux en 6ème.
Le lendemain de notre mésaventure, 16h fin des cours, flot des élèves vers la brochette de bus sur le parking :
– Bonjour, c’est bien le bus pour Mions ? (Bravo Tintin tu as réussi à parler à un adulte que tu ne connaissais pas, Félicitations !!!)
Et le chauffeur de lui répondre sur un ton grognon :
– Tu sais pas lire ?! »